La scène se passe au milieu du XXII ème siècle.
« On possède alors la maitrise des voyages dans le temps, mais on ne la met que rarement en pratique et des restrictions sévères en règlementent l’usage. Conscient des risques de rupture et de désastre qu’elle implique, l’État n’accorde à chacun qu’un seul voyage durant sa vie. Et ce n’est pas pour le plaisir de visiter d’autres moments de l’histoire, mais en tant que rite d’initiation à l’âge adulte. Une célébration est organisée en votre honneur et, le soir même, vous êtes envoyé dans le passé pour parcourir le monde pendant un an et observer vos ancêtres. Vous commencez deux cent ans avant votre naissance, en remontant à peu près sept générations, et puis vous revenez progressivement au présent. Le but du voyage est de vous enseigner l’humilité et la compassion, la tolérance envers le prochain. Parmi la centaine d’aïeux que vous rencontrerez en chemin, la gamme entière des possibilités humaines vous sera révélée, chacun des numéros de la loterie génétique aura son tour. Le voyageur comprendra qu’il est issu d’un immense chaudron de contradictions et qu’au nombre de ses antécédents se comptent des mendiants et des sots, des saints et des héros, des infirmes et des beautés, de belles âmes et des criminels violents, des altruistes et des voleurs. A se trouver confronté à autant de vies au cours d’un laps de temps aussi bref, on gagne une nouvelle compréhension de soi-même et de sa place dans le monde. On se voit comme un élément d’un ensemble plus grand que soi, et on se voit comme un individu distinct, un être sans précédent, avec son avenir personnel irremplaçable. On comprend, finalement, qu’on est seul responsable de son devenir. » Paul Auster, La nuit de l’oracle.