« Ceux qui me rencontrent aujourd’hui voient une femme de 56 ans, le visage marqué par quelques rides, pas trop nombreuses, mais bien présentes, des cheveux blancs qui strient les mèches brunes, boitant certains jours, les traits plus graves qu’autrefois. Ils ne distinguent pas la fillette sur la plage qui fait couler le sable entre les doigts, pas plus que l’adolescente aux décolletés toujours plus profonds quelle que soit la température car elle est trop joyeuse pour avoir froid, ni la trentenaire inépuisable qui porte des sacs de courses et des valises. Elles sont pourtant là, toutes en même temps. Il suffit que je leur ménage un minuscule espace, pas plus large que le chas d’une aiguille, et les voilà qui se précipitent. »
« La vie est comme ça. Ou plutôt, on est comme ça dans la vie, toujours inadapté, jamais en possession de tous nos moyens au bon moment. Il existe, je suppose, des cas d’adéquation parfaite, mais la plupart du temps, c’est l’esprit d’escalier qui domine. « Si j’avais su pourrait être une épitaphe gravée en série par les marbriers.
A l’école, on nous apprend à faire un brouillon. Cette méthode qui consiste à essayer, à s’entraîner avant de « faire pour de bon », structure notre existence. Et pourtant, nous ne vivrons qu’une seule fois. Le brouillon sera la seule tentative et coïncidera avec la version définitive. Quand on est vivant, c’est la première et la dernière fois. Je ne cesse de m’en étonner, de trouver cela effrayant et merveilleux. »
Agnès Desarthe, Le Château des rentiers, De L’Olivier Eds, 2023.